- Ton amante, je le suis déjà,
dit-elle en m'attirant sur sa poitrine pour m'embrasser.
Nous ne prolongeâmes pas ce baiser. Non par sagesse ou par
lassitude, mais simplement
parce que nous avions faim et que, l'une comme l'autre, ne pensions
plus qu'à retrouver assez de
forces pour la soirée à venir.
Nous nous restaurâmes, puis Mencia me quitta peu après
en remportant le plateau, ainsi
que le tablier et le bandeau.
Je me recouchai et me rendormis.
Une dernière fois habillée comme
à l'ordinaire, Mencia tint à me servir le dîner,
que
j'expédiai seule et à la hâte, Vicente étant
resté au bivouac avec les gauchos dans l'une des plus
lointaines pâtures.
Mais, bien que toujours uniformément noire, sa tenue ne
fût pas sans me surprendre quand
elle vint me rejoindre un peu plus tard au salon. Jamais encore
je ne l'avais vue semblablement
vêtue, ne soupçonnant pas même qu'elle possédât
de tels accessoires faits du chevreau et du cuir
de la plus belle qualité.
Elle portait une sorte de bustier, maintenu en forme par des fanons,
dépourvu de bretelles
et profondément échancré en pointe entre
les demi balconnets, qui faisait pigeonner ses seins. Une
basque, à gros plis souples et ronds, comme une minuscule
jupette couvrant tout juste le haut de
ses hanches, l'agrémentait. Dessous, elle avait une culotte
très échancrée par côtés, dégageant
bien
toute la longueur de ses cuisses, pourvue d'une fermeture éclair
médiane et de quatre jarretelles,
aux pinces desquelles étaient fixés des bas de voile
haut tirés. Elle était chaussée de bottes
cavalières, à tige, mais talon aiguilles, manifestement
sur mesure, qui la cambraient altièrement.
Enfin, les mains et les bras gantés jusqu'au-dessus du
coude, elle avait au cou un épais collier
auquel pendait un lourd médaillon de métal brillant
avec, en relief, la première lettre majuscule de
son prénom.
Ses cheveux noirs et luisants noués en chignon banane,
les yeux et le visage sublimés et
durcis par un maquillage aussi prononcé que savant, la
bouche peinte de rouge intense, elle n'était
certes pas méconnaissable, mais d'une beauté à
la fois étrange, obsédante et cruelle.
Et puis, encore, elle tenait fermement dans sa main droite, lanières
repliées contre manche,
le fouet en crins de cheval.
Où et quand avait-elle appris à se farder de la
sorte, à se donner un tel maintien de femme
fatale et dominatrice ?
Je ne l'avais jamais vue sous une telle apparence.
La préférant presque ainsi plutôt que nue,
la voyant redoutable, incarnation de toutes les
amazones de ces bandes dessinées où je puisais la
matière de mes rêves et fantasmes, je ne l'en
désirai que davantage.
Toutefois, lisant dans mes yeux un étonnement non moins
interrogatif qu'admiratif, elle esquissa
un sourire dénonçant un vague malaise.