La fabuleuse histoire de Sandrine et Sylvie


Par Arsinoé le 04 juillet 2007

 

Synopsis :

Sylvie est une jeune fille effacée, déprimée. Dans la vie, son seul rayon de soleil est l'amour qu'elle porte secrètement à Sandrine, sa copine d'enfance qui est devenue avocate, ambitieuse, terriblement belle.
Un beau jour, Sandrine ne se satisfait plus du logement d'étudiante qu'elle partage avec Sylvie ; elle prend son indépendance et décide de déménager. Sylvie est effondrée.
Heureusement, Sandrine est également à la recherche d'une employée de maison, poste qu'elle propose spontanément à sa camarade, pour lui venir en aide.
Pour Sylvie, ce contrat marquera le début d'un long parcours initiatique, tant il est vrai que du dévouement à la soumission, il n'y a qu'un pas…

 

Sommaire :

Les prémices

Le contrat

L'amourette

Le dressage

Le pacte

La servitude

La réception

L'anniversaire

Les vacances

La métamorphose

Les noces de cuir

 

 

- 1 - Les prémices

Au début de cette histoire, Sandrine et moi partagions un appartement en ville, solution que nous avions retenue pour la durée de nos études de droit. Bonnes copines et originaires de la même région, nous avions soumis l’idée à nos parents qui s’étaient empressés d’accepter. Bien qu’il m’ait fallu travailler plus dur que Sandrine pour y parvenir, nous avions toutes deux obtenu notre diplôme au terme des deux premières années. Pour moi, les choses se gâtèrent à l’échelon suivant où la mort dans l’âme, je dus me réorienter après un redoublement infructueux. Par la suite, j’avais vainement tenté ma chance dans d'autres filières si bien que de tâtonnements en échecs, j’avais traversé plusieurs périodes de déprime.
Quand survinrent les premiers « événements » avec Sandrine, mon moral était au plus bas et mon corps en était marqué. J’avais pris quelques kilos et je me sentais tellement coupable que je n’osais plus dépenser l’argent que me donnaient mes parents pour les fringues ou les coupes de cheveux. Au désespoir de réussir mes études, j’en étais venue à m’inscrire au chômage mais mon petit diplôme universitaire n’intéressait aucun employeur. C’est ainsi qu’entre deux errements, je passais mes journées devant la télévision en attendant le retour ma colocataire. Car tout au contraire de moi, Sandrine avait brillamment obtenu son diplôme d’avocate d’affaires. Elle était maintenant salariée dans un grand cabinet, sa carrière était toute tracée et elle touchait de confortables salaires lui donnant accès aux boutiques de prêt-à-porter pour « executive women ».
Ainsi l’avais-je vue se métamorphoser au fil du temps. La fraîche étudiante toujours encline aux confidences et à la camaraderie était devenue une jeune femme élégante, quelque peu distante. Cette transformation attisait en moi les braises d’une homosexualité mal assumée. En effet, les quelques aventures que j’avais eues avec des garçons m’avaient toutes semblé insipides. Celles qui alimentaient mes fantasmes depuis toujours étaient ces femmes qui jouent de leur féminité tout en égalant les hommes dans leurs métiers, mentalement masculines à certains égards. Cependant, jamais je n’aurais osé passer à l’acte ; j’étais même à cent lieues d’entreprendre une telle démarche. Je me contentais de caresses intimes sous la couette en me mordant la lèvre inférieure pour n’émettre aucun son, car Sandrine et moi partagions la même chambre et nos lits n’étaient séparés que par un paravent.

*

Un jour que Sandrine était à son travail, je me morfondais dans l’appartement, en attendant un rendez-vous à l’ANPE en vue d’une hypothétique formation rémunérée. Mes turpitudes prenaient alors le dessus, comme souvent lorsque j’étais désœuvrée. Alors qu’auparavant je m’installais devant la télévision avec des gâteaux à grignoter, je préférais depuis la transformation de Sandrine flâner dans sa moitié de chambre en m’attardant sur chaque détail, comme pour faire la conquête de mon amie en contemplant le cadre de son intimité.      
Ce jour-là, je pris sur sa table de nuit un de ces cubes sur chaque face desquels on expose une photo. Les clichés représentaient Sandrine et sa famille, depuis son enfance jusqu’après son baccalauréat. Je comparais avec amusement le corps de Sandrine à divers stades de sa croissance. Enfant presque ordinaire, elle était devenue une adolescente à la silhouette élancée, dont les sweats et les jeans dissimulaient les formes naissantes. Au lycée et à l’université, les vêtements confortables se mirent à cascader sur une poitrine haut perchée et une croupe d’africaine, alors que des pommettes prononcées, un nez aquilin et une moue de dédain sur les lèvres donnaient à son visage l’air altier que je lui connaissais maintenant. Désormais, elle tenait un peu de Gina Lollobrigida et pour celles qui ont vu « Mulholland Drive » de David Lynch, un peu du personnage de Rita alias Camilla. Bref, au panthéon des superbes brunes, ma copine d’enfance figurait en bonne place.
Alors que mon esprit battait la campagne, mon regard s’attarda sur l’armoire où Sandrine rangeait ses vêtements. Me promettant de ne toucher qu’avec les yeux, je donnai un tour de clé pour en ouvrir la porte. Au premier abord, je ne vis rien que je n’aie déjà laissé entendre : plusieurs tailleurs, un imper noir et des escarpins. Je notais que les fringues les plus communes étaient reléguées sur l’étagère du haut quand mon attention fut attirée par un morceau de crêpe noir qui dépassait d’un tiroir. Intriguée, je l’ouvris délicatement et plongeai mes doigts dans l’entrelacs d’étoffe. Ce que je découvris fit naître au niveau de mon plexus une petite boule de désir. De même qu’un sourire béat s’installa sur mon visage quand passèrent entre mes doigts des dessous de toutes les teintes, les uns classiques en dentelle et d’autres furieusement modernes, sans couture et en voile transparent. Je ne sais plus combien de temps je suis restée accroupie devant ma trouvaille, mais je faillis rater mon rendez-vous tellement j’étais absorbée. Je souriais encore en franchissant le seuil de l’ANPE, ce qui m’arrivait rarement avant ce jour.  
Les semaines suivantes, inspecter la garde-robe de ma colocataire devint ma récréation favorite. Je n’accompagnais plus Sandrine dans ses séances de shopping depuis bien longtemps, mais j’étais capable de reconstituer la liste excitante de ses emplettes ; ici, une paire de collants en résille pour aller avec une jupe de cuir noir et là, une guêpière et des bas gris perle achetés le même jour qu’un ensemble anthracite. Dans certaines périodes de lucidité, je me disais bien que je devenais fétichiste comme un homme laid en proie à la misère sexuelle, que toutes cette lingerie de luxe étaient sans doute destinée à un bellâtre qui lui avait mis le « grappin dessus », que de toute façon elle m’adressait de moins en moins souvent la parole, que mon oisiveté devait l’horripiler, que bientôt elle ne se satisferait plus de ce logement d’étudiant et que nous nous quitterions pour toujours. Alors j’étais malheureuse et il fallait soit que je mange du chocolat, soit que je retourne jeter un œil dans l’armoire.
Un soir, Sandrine et moi nous étions retrouvées dans la salle de bain à l’occasion de nos ablutions. J’étais en train de me brosser les dents quand elle apparut dans le grand tee-shirt Mickey qui lui tenait lieu de chemise de nuit (j’ai omis de préciser que jamais elle n’arborait ses jolis dessous en ma présence). Au lieu de se démaquiller comme d’habitude elle marqua un temps d’arrêt, mit les doigts sur le rebord de la vasque, chercha mon regard dans le miroir et dit en substance :
- Tu sais Sylvie, j’ai l’impression que quelqu’un fouille dans mes affaires. Tu ne vois pas qui cela pourrait être ? 
Je piquai aussitôt un fard et baissai la tête, la brosse en travers de la bouche, retenant la salive qui menaçait de dégouliner. Submergée par la honte, je n’osais affronter son regard. Elle poursuivit :
- Je ne sais pas moi, peut-être que tu as fait venir un plombier ou bien France Télécom. Peut-être qu’EDF est passé pour faire un relevé. Ça ne te dit rien ?
Pour toute réponse je secouai la tête de gauche à droite.
- Tu crois que ce pourrait être le propriétaire ? Si ce cochon avait gardé une clé tu l’aurais remarqué, non ?
Je ne sus émettre qu’un vague haussement d’épaule en gardant les yeux baissés, attendant que son regard noir se détourne de moi.
Pour garder un minimum de prestance, j’aurais pu gagner quelques secondes en me rinçant la bouche, le temps d’inventer une histoire ; par exemple, que j’avais dû me présenter à un entretien d’embauche en urgence et que je n’avais rien de convenable à me mettre. Avec une bonne dose de courage, j’aurais même pu passer aux aveux, lui dire que j’admirais ses toilettes. Peut-être même que de fil en aiguille, j’aurais pu lui faire comprendre que j’en pinçais pour elle. Elle était ouverte d’esprit et intelligente ; peut-être ne m’aurait-elle pas méprisée. Au lieu de cela, rien que le mutisme le plus bête. C’était plus qu’il n’en fallait à cette professionnelle qu’on avait entraînée à  jauger les coupables. Sa conviction acquise, elle se désintéressa de moi pour essuyer son rouge à lèvres.
Les semaines suivantes, le comportement de Sandrine changea principalement sur un point ; d’ordinaire très ordonnée, elle se mit à abandonner ses affaires ici et là dans notre appartement. La première fois, il s’agissait d’une culotte et d’un soutien-gorge devant la cabine de douche. Comme je m’étais promis de ne plus donner libre cours à mes contemplations malsaines, j’ai tout simplement enjambé les dessous. Le deuxième jour, je leur ai jeté un coup d’œil en coin, juste le temps d’apprécier la finesse des arabesques florales, toutes de mauves et de pourpres dessinées. Le troisième jour, réalisant que les deux pièces se ratatinaient dans l’humidité entre le carrelage et le tapis de bain, je me suis dit que c’était trop dommage et je les ai ramassées.
J’allais les enfourner dans le lave-linge, quand la griffe en écriture liée sur fond blanc me fit réaliser de leur valeur. « Sûrement pas loin de ma quote-part de loyer mensuel », estimai-je. Par précaution, je pris donc le parti de les laver délicatement à la main. Quelle ne fut pas ma surprise quand le jour suivant, je tombais sur une étoffe roulée en boule quasiment au même endroit. « Cette fois elle exagère», me dis-je en la ramassant. C’était un de ces collants légèrement scintillants qu’elle portait sous ses jupes de tailleur, avec des surimpressions noires au niveau des hanches pour évoquer les porte-jarretelles d’antan. Une fois encore, je choisis de laver cette pièce à la main et la fis sécher à côté de mes trouvailles de la veille.  
Le même manège se reproduit plusieurs jours de suite. Les dessous de Sandrine prenaient maintenant toute la place sur le sèche-linge de la salle de bain. Vu qu’elle y passait deux fois par jour, elle ne pouvait l’ignorer. Devais-je lui en faire la remarque ? En fait, je n’osais pas aborder le sujet tant j’avais été mal à l’aise quand elle m’avait questionnée sur les « visites » de l’armoire. Aussi fis-je une nouvelle fois un compromis avec moi-même et décidai-je de ranger les dessous dans le tiroir adéquat après les avoir religieusement repassés. Après tout, si Sandrine me reprochait cette initiative, je pourrais toujours lui jeter à la figure le peu de discipline dont elle faisait preuve dans notre communauté. En réalité, je n’étais même pas sûre de pouvoir provoquer une querelle tellement j’avais accumulé de désir au cours du repassage, imaginant les replis intimes de mon aimée sous chaque centimètre carré de tissu.
L’affaire n’en resta pas là. Un jour que Sandrine était rentrée par une pluie battante, je retrouvais ses bottes, ses gants et son imperméable gisant pêle-mêle dans le corridor. Cette fois, il ne faisait plus aucun doute que Sandrine le faisait exprès. On peut comprendre qu’une jeune avocate ambitieuse soit absorbée par son travail au point d’oublier son linge sale. En revanche, je ne voyais pas comment on pouvait ignorer vingt ans d’éducation en jetant son imper au sol, entre un portemanteau et un guéridon.
Je me mis aussitôt à échafauder des hypothèses. La première était que Sandrine essayait de m’exaspérer en rendant notre cohabitation insupportable au quotidien. Maintenant largement autonome sur le plan financier, elle ne voyait pas pourquoi elle continuerait à partager sa chambre avec une copine d’adolescence que l’oisiveté avait rendue curieuse et indiscrète. Il lui fallait une bonne dispute comme prétexte à une scission, et de donner libre cours à de mauvaises habitudes ne tarderait pas à provoquer ce clash.
La deuxième possibilité, la plus probable en fait, était que Sandrine testait jusqu’où pouvaient aller mes sales manies. Elle avait dû se lier d’amitié avec une collègue de travail et après deux ou trois coupes de champagne, elle lui avait raconté comment elle soupçonnait sa colocataire de fouiner dans son armoire en son absence. Entre deux éclats de rire, elles avaient fomenté cette mise à l’épreuve ridicule à laquelle je me prêtais avec délectation.
Outrée à l’idée qu’on puisse ainsi se moquer de moi, j’imaginai une troisième voie, celle dont la simple évocation me fit venir le rose aux joues : Sandrine était amoureuse de moi comme je l’étais d’elle. N’osant avouer ses penchants homosexuels, elle me signifiait qu’elle était prête pour une union charnelle en me faisant pénétrer dans son espace privé, comme si c’était une façon de « faire le premier pas ».
Enchantée à cette idée, je m’accroupis pour ramasser les précieuses reliques. L’imperméable était d’un tissu plastifié noir. Sandrine avait beaucoup d'allure quand elle le portait, la ceinture mettant en valeur sa taille de guêpe alors qu'alternativement, les pans se dérobaient devant ses jambes interminables. A n'en point douter, ceux qui lui jetaient des regards concupiscents dans la rue en étaient venus à maudire les anticyclones... Après avoir consciencieusement essuyé l’imper avec un linge humide, je l’accrochai au portemanteau, une épaule après chaque patère pour lui donner de l’envergure.
Voyant les bottes souillées, j’entrepris de les nettoyer à leur tour et d’en nourrir le cuir avec un cirage liquide. Pour ce faire, j’enfilais la botte sur mon bras gauche jusqu’au biceps, puis la frottais de la main droite avec une brosse douce, jusqu’à obtenir un lustre parfait. Le cuir était tellement souple que je sentais la caresse de l’outil au travers. La cambrure du coup de pied me laissait admirative, moi qui n’avais jamais porté que des baskets et des mocassins.
Enfin, j’enfilai la paire de gants en chevreau. Ils m’arrivaient au-dessus du poignet et enveloppaient chaque main sans un pli comme par magie. Par une sorte de coquetterie malsaine, je vaporisai dessus un produit imperméabilisant afin de rehausser leur éclat. « Une véritable invitation au baisemain », pensai-je en imaginant un nouveau fantasme. Sandrine, sanglée dans son imper, était assise sur un tabouret de bar et me tendait une main gantée. Je devais m’incliner, puis m’agenouiller pour en baiser le bout des doigts. Une fois mes lèvres à hauteur de ses genoux, elle m’invitait à les poser sur sa peau diaphane. Alors que je faisais mine de vouloir baiser l’intérieur de ses cuisses, elle croisait lentement les jambes, ce qui avait pour effet d’amener mon visage à hauteur de sa cheville bottée. Le coude sur le genou, le menton dans la paume de la main, les yeux dissimulés derrières des cils interminables, elle me contemplait de toute sa hauteur, attendant un signe de soumission.
Une sirène de pompier me tira brutalement de ma rêverie. « Oh la la, ma pauvre vieille, ça ne s’arrange pas », me dis-je en rangeant gants et bottes dans le meuble idoine.
Au cours les semaines suivantes, les « oublis » de Sandrine continuèrent, bien que de façon plus sporadique. J’eus droit à toutes les variantes : jupes, chemisiers, chaussures etc. Je ne cherchais même plus à me priver du petit plaisir qui consistait à en prendre soin. Je me disais que finalement, c’était un service à rendre à une bonne copine, même si jamais Sandrine ne m’adressait un remerciement.  

   
*

Le jour de mon anniversaire et contre toute attente, Sandrine m’invita dans un restaurant chic. Je retrouvais ce jour-là la fille amicale et complice de notre adolescence. Nous consacrâmes toute la journée du samedi aux préparatifs. Elle me gourmanda sur le peu d’importance que j’accordais à mon apparence et me conseilla pour ma toilette, améliorant une petite robe noire toute simple par un magnifique foulard imprimé tiré de sa collection. Elle revêtit pour sa part une longue robe zébrée de noir et blanc, avec une large ceinture et des sandales façon « légionnaire romain ». Agrémentée par un maquillage léger, cette tenue la rendait belle et chaleureuse, comme si elle voulait se rendre plus accessible qu’à l’ordinaire. J’attendais l’heure du dîner avec impatience.
A vingt heures, un taxi nous déposa devant l’établissement. Dès le franchissement du seuil, je fus intimidée par l’accueil et le luxe ambiants. Une hôtesse nous débarrassa de nos pardessus et un chef de rang obséquieux nous dirigea vers une petite table carrée qui se trouvait légèrement à l’écart, devant une baie vitrée donnant sur le jardin. Le maître d’hôtel me remis une carte sans prix. J’en déduis que c’était Sandrine qui en avait connaissance et que c’était cher. Je me sentis flattée, moi qui croyais ce protocole réservé aux hommes galants qui voulaient épargner toute gêne à leur conquête amoureuse.
Dès l’apéritif, Sandrine commanda deux verres de Chablis. Nous trinquâmes à mon année supplémentaire. Comme je ne buvais quasiment jamais, l’alcool eut tôt fait d’empourprer mes joues. Je sentais mes inhibitions chanceler. Peut-être allais-je avoir l’audace de déclarer à Sandrine que je la trouvais magnifique et qui sait, en fin de soirée, que je la désirais. « Après tout, chaque lesbienne en ce bas monde a dû un jour se déclarer », jubilai-je intérieurement.
Sandrine interrompit ma rêverie en sortant de son sac à main un petit paquet cadeau. Selon l’usage, je me répandis en remerciements avant de déchirer l’emballage. Alors que je m’attendais à un bijou, je découvris un minuscule téléphone high-tech. C’est vrai que le mien était obsolète et que je devais en changer. Ce n'était pas très glamour, mais vraiment bien vu.
- Je l’ai choisi à la fois classe et hyper léger, commenta Sandrine. Il y a tout un bric-à-brac qui va avec, et que l’ai laissé à l’appartement. Il y a par exemple une oreillette sans fil et un étui très discret pour le porter à la ceinture. Regarde, tu peux même prendre des photos, et tout le tintouin. 
Ce faisant, elle couvrit ma main avec ses longs doigts graciles pour pianoter sur le petit clavier. J’aurais été bien incapable de répéter les manipulations, tellement la danse des ongles vermeils et la caresse des chaînettes qu’elle portait au poignet absorbaient mon attention. J’aurais voulu qu’elle n’enlève jamais sa main.        
- Et puis pour l’abonnement ne t’en fais pas, fit-elle en me touchant le bras nu en signe de réconfort. C’est pour ma pomme pendant un an. Après, tu feras comme tu veux. Une carte rechargeable par exemple.
« Si elle continue à me regarder comme ça, en plissant les yeux et la tête penchée sur le côté, je me lève et je l’embrasse à pleine bouche », pensai-je.
L’arrivée des langoustines m’empêcha de passer à l’acte ; chacune se consacra à la dégustation.
Une employée vint desservir les entrées ; elle était comme toutes ses collègues en livrée « début de siècle », tablier blanc sur robe noire.
- Je me demande comment ça fait d’être habillée comme ça à longueur de journée, commenta Sandrine. C’est comme si on voulait faire de ces filles des éléments de décor, comme les parquets qui craquent et les meubles qui sentent l’encaustique.  
- Bah, elles au moins elles ont un boulot, répondis-je. Et puis comme ça, elles se sentent appartenir à une équipe. De toute façon au bout de quelques jours, on doit s’habituer. 
- Ça te pèse le chômage ? 
- Eh bien oui, un peu. Je tourne en rond dans l’appart'. Je devrais en profiter pour étudier, ne serait-ce que par correspondance. Mais au fond, je me demande si je suis faite pour ça. Il faudrait que je sois occupée, tout simplement.
Nous avions passé le reste du repas à évoquer des souvenirs d’enfance et à parler de la pluie et du beau temps quand Sandrine paya la facture. Le protocole qui entourait cette simple démarche laissait augurer du montant.
- Je ne sais comment te remercier. Tout ce luxe dont tu me fais profiter… et puis le téléphone, balbutiai-je en quittant ma chaise.
- C’est vrai, une fille comme toi ne mérite pas tous ces égards, plaisanta-t-elle en se composant un faciès dédaigneux.
Puis en souriant :
- Ne t’inquiète pas pour ça. Allons marcher un peu. Je connais un chouette bar d’ambiance pour terminer la soirée. 
La météo était clémente en cette fin d’hiver. Nous marchions lentement au bord des quais, presque épaule contre épaule. Façon de parler car même avec des talons plats, Sandrine me dominait de quelques centimètres. Comme toujours en pareille circonstance, je me disais que c’était le moment ou jamais de tenter ma chance. Et puis les mots restaient coincés dans ma gorge ; peur de passer pour une idiote sans doute, peur que ça vienne à l’oreille de mes parents, ou simplement peur d’essuyer un refus.
Au bout de quelques minutes, mon amie prit la parole en regardant droit devant elle :
- Tu sais Sylvie, il y a quelque chose que je ne t’ai pas dit. 
Mon cœur accéléra brutalement. Et si finalement, c’était elle qui prenait les devants ?
- Eh bien voilà : j’ai visité hier un appartement à vendre. Je suis très tentée. C’est très spacieux, très bien situé. Un peu cher mais justifié. Je crois que je vais signer.   
Puis, voyant que je baissais subitement la tête :
- Ne t’inquiète pas. Le temps que ça se fasse, tu as deux ou trois mois devant toi. Et puis je serai conciliante. On fera un transfert de bail. Je ferai les démarches auprès de ce gros porc de proprio. Je veillerai à ce qu’il ne te roule pas dans la farine. C’est mon job. 
Voyant que je marquais le pas, elle me fit face et me prit le bras, cherchant à croiser mon regard.
- Il y a quelque chose qui ne va pas ?
- Et bien… répondis-je avec des trémolos dans la voix. C’est que jamais mon père n’acceptera que je garde l’appartement toute seule. Déjà qu’il me dit qu’il paye à fonds perdus parce que je n’aurai jamais de situation. 
Je poursuivis en soupirant :  
- Je crois que je suis mûre pour retourner dans mon village du Perche. J’irai pointer à l’ANPE du chef-lieu d’arrondissement. 
- Allez viens, je t’offre un cocktail. Ça te remontera le moral, dit-elle en me prenant par l’épaule. 
Nous pénétrâmes dans un bar d’ambiance du type « rhumerie créole ». Il y avait partout des palmes et des objets qui rappelaient les colonies des Antilles. Nous nous assîmes à une table patinée en bois sombre. La carte était interminable. J’étais incapable de faire un choix tellement j’étais dépitée. Une matrone guadeloupéenne en costume traditionnel vint prendre les commandes. Sandrine commanda son cocktail et dit sur un ton léger :
- Ma copine n’a pas le moral. Qu’est ce que vous conseillez en pareille circonstance ?
La serveuse répondit sur un ton docte, avec un accent quelque peu forcé pour aller avec le décor :
- Dans ce cas, je conseille le Champ de Coton. C’est à base de rhum et de lait de coco. C’est très doux et très réconfortant. C’est une boisson qu’on servait aux esclaves qui avaient le mal du pays, dans les premières semaines qui suivaient leur débarquement dans les îles. 
Sandrine éclata de rire, montrant par-là qu’elle n’en croyait pas un mot, et décida à ma place :
- Alors va pour le Champ de Coton !
Les commandes arrivèrent, servies comme il se doit avec paille et dans des coupes décorées de sucre et de morceaux de fruit exotiques. J’aspirais des premières lampées du cocktail et le rhum eut tôt fait de rehausser l’éclat de mes joues. Nous dégustions silencieusement, perdues dans nos pensées.
Sandrine prit la parole :
- Tu sais Sylvie, il y a bien une idée qui me vient à l’esprit. C’est que, au départ, je ne voyais pas ça pour une copine. Mais bon…
- Dis toujours, fis-je sur un ton blasé.
- Eh bien voilà. Je suis de plus en plus occupée au bureau. Je n’ai plus tellement le temps de m’occuper de mon intérieur. Le week-end, je pense plutôt à la détente et au shopping… Bref, vu la surface de l’appartement que j’ai en vue, je ne vois pas comment je pourrai m’en sortir. 
Elle poursuivit en regardant le fond de son verre :
- Enfin voilà, j’avais pensé embaucher quelqu’un à mi-temps pour le ménage, la lessive, et tutti quanti…Alors bon, je me sens obligée de t’en parler.
- C’est gentil de penser à moi mais de toute façon, je n’irai pas loin avec un demi-salaire. Et puis tu imagines la tête de mes parents ? Alors, tu as trouvé un emploi ? Oui, oui, femme de ménage chez Sandrine !
L’alcool aidant, j’avais répondu avec une voix haut perchée qui se voulait comique.
Sandrine sourit devant mon petit numéro avant que son regard ne replonge dans le vague. Quelques minutes plus tard, elle reprit la parole :
- En fait, il y aurait bien une solution. Dans l’appartement, il y a une chambre d’ami dont je ne me servirai jamais. Il y a une petite salle de bain attenante et l’accès se trouve à côté de la porte d’entrée. Bref, c’est assez indépendant. Tu n’y serais pas mal. Je crois qu’on peut verser une partie de la rémunération sous cette forme. Si c’était moi qui prenais en charge tes frais de bouche, on pourrait même arriver à un temps plein, car on doit pouvoir défalquer tout ça du salaire. Ce serait « gagnant gagnant » : moi, je loue une partie de l’appartement à quelqu’un de confiance et mes soucis de ménage disparaissent. Toi, tu n’as plus besoin de galérer. Ce que tu as à la fin du mois, c’est du net pour les sorties et les fringues.     
Devant mon air dubitatif, elle enchaîna :
- Pour tes parents, tu peux toujours leur dire que je t’ai trouvé une place de secrétaire au cabinet. Ce n’est qu’un demi-mensonge, car je serai probablement amenée à en recruter une dans les prochains mois. On en reparlera à ce moment-là. 
Puis, voyant mon regard s’éclairer :
- De toute manière, je ne veux pas de réponse à chaud. Prends quelques jours de réflexion. Si tu te décides, tu m’appelles avec ton portable, je rédige les contrats et on signe. 
Elle temporisa en pressant un quartier de citron vert.
- Euh, autre chose, pour que les choses soient bien claires. Ce que je te propose là, c’est un vrai job. Je veux dire par-là que je ce n’est pas de la charité. Même si ça marche pour moi en ce moment, je ne pourrais pas me le permettre… Tu comprends ? 
- Pas de problème. Je vais y réfléchir. 
Il va sans dire que j’eus du mal à trouver le sommeil ce soir-là. Evidemment, j’avais très envie d’accepter, ne serait-ce que pour maintenir le contact avec Sandrine. Elle avait même apporté une réponse satisfaisante au problème du jugement de mes parents, du moins à court terme. Le seul hic, c’était la dignité. Non pas que j’aie une grande estime de moi, mais je trouvais quelque peu contrariant d’être allé à l’université pour finir employée de maison. Et puis revenaient à la surface tous les clichés accumulés au cours de l’enfance, depuis les disputes (« Je suis pas ta bonniche… ») jusqu’aux contes de fées où toute princesse vivait entourée de caméristes dévouées, lui tenant lieu de faire-valoir.
Cela dit, j’entrevoyais aussi le bon côté des choses : une communauté de vie avec Sandrine et toute légitimité pour m’immiscer dans son intimité. Repasser son linge, changer ses draps, nettoyer sa baignoire m’apparaissaient comme autant de caresses indirectes. A cette perspective, une nouvelle rêverie érotique envahit bientôt mon esprit. Alors que je faisais le tour de tous les miroirs de l’appartement pour les nettoyer, je surprenais Sandrine allongée dans son bain.
- Oh, pardon, faisais-je en détournant les yeux.
- Sylvie ?
- Euh, oui…
- Remets donc du bain moussant, et ajoute de l’eau chaude. 
Je m’exécutais, prenant garde à faire mousser le bain sans toucher le corps magnifique de ma patronne.
- Maintenant, lave-moi ! 
Puis, me voyant hésitante :
- Eh bien, qu’est ce que tu attends ? disait-elle en présentant son bras.
Je prenais une éponge et le lavais consciencieusement de l’épaule jusqu’au bout des doigts. Après qu’elle m’ait tendu le deuxième bras pour le même traitement, elle sortait de l’eau une de ses longues jambes et la posait ruisselante sur le bord de la baignoire.
- Continue !
J’obtempérais en commençant par le pied tendu, remontais vers le mollet, le genou, la cuisse et bientôt…
- Là aussi et fais attention ! ordonnait-elle en écartant les cuisses.
Je m’exécutais docilement, veillant à ne pas agresser le mont de Vénus, insérant l’éponge entre ses deux fesses.
- Ça suffit ! Le ventre et la poitrine maintenant. 
Du coin de l’œil, je voyais sa tête penchée sur le côté, les yeux fermés et un demi-sourire de contentement sur les lèvres. Avec l’éponge, je parcourais son ventre étroit, revenant parfois à la naissance des cuisses.
- Plus haut, j’ai dit ! 
Je lavais la poitrine en effectuant de larges cercles concentriques, ce qui avait pour effet de déplacer la chair élastique de ses seins de jeune fille. 
- Assez ! Le coup et le visage, à présent.
Sans appuyer pour ne pas gêner sa respiration, je lavais son coup gracieux, sortais l’éponge du bain pour l’essorer puis, avec un coin serré entre deux doigts, suivais les contours majestueux de son visage. Cette opération me demandait tellement de précaution que nos bouches se trouvaient à quelques centimètres l’une de l’autre. Naturellement enhardie par cette proximité, j’effleurais ses lèvres avec les miennes avant de les titiller en étirant leur chair. Je risquais une langue sur ses dents qui s’entrouvraient lentement, laissant le passage minimal pour un baiser superficiel et nonchalant.
Puis brusquement elle me repoussait, comme si la récréation avait assez duré.  
- Apporte mon peignoir et retourne à ton travail !
Ce fantasme m’avait laissée toute mouillée sous la couverture. Quelques attouchements du majeur suffirent à m’amener à l’orgasme. J’eus toutes les peines à réprimer un couinement et le bois de mon lit craqua sous le spasme. Derrière le paravent, j’entendis à un froissement de drap que Sandrine changeait de position. Je me dis qu’elle avait sans doute deviné mon émoi et que j’allais accepter son offre.            
Le lendemain en milieu de matinée, je composai le numéro de Sandrine. Elle répondit après deux sonneries :
- Oui Sylvie ?
- Eh bien voilà. C’est pour ta proposition d’hier soir. Je crois que je vais accepter.
- Nous n’avons pas parlé salaire. Ce sera payé au SMIC. Toujours d’accord ?
- Euh, oui bien sûr. Je m’en doutais un peu.
En fait c’était faux, j’avais totalement occulté cet aspect des choses.
A l’autre bout du fil, Sandrine poussa un bref soupir, plus d’amusement que de soulagement.
- OK. Ce soir j’apporte les contrats et on signe. 
Sandrine rentra du bureau vers vingt heures. Elle s’était appliqué un fard à joue prononcé sur un fond de teint très cuivré qui la vieillissait d’au moins dix ans, ce qui n’était pas pour me déplaire, et portait un tailleur noir avec une jupe portefeuille largement fendue. « Une invite au cunnilingus improvisé », me dis-je en mon for intérieur.       
Sandrine tira de sa sacoche de cuir fauve deux documents imprimés sur du papier luxueux et désigna la table de la cuisine. Nous nous assîmes de part et d’autre. Elle me tendit un stylo imposant et me mit sous les yeux un exemplaire du contrat. J’eus à peine le temps d’en lire l’entête (« Contrat de travail entre les soussignées… ») que Sandrine désignait de son index un emplacement en bas de page.
- Un paraphe ici.
D’autorité, Sandrine tourna la page et désigna le même endroit
- Ici, pareil. 
Sa main et la manche de sa veste m’empêchaient de lire le texte. Les six pages du contrat défilèrent de la sorte, sauf à la dernière :
- Lu et approuvé, et tu signes.
La signature du deuxième exemplaire fut expédiée de la même manière.
- Je ne sais pas si tu as vu : tu commences le premier, soit dans deux semaines. Ainsi pourras-tu préparer le déménagement. Il s’agira surtout de choisir une entreprise et de remplir les housses et les cartons qu’ils apporteront. J’ai décidé de ne pas garder les meubles, à deux ou trois exceptions près. Tu feras appel à une œuvre de bienfaisance ou à un brocanteur ; je ne veux même pas en entendre parler. Tu t’occuperas aussi des procédures administratives : eau, électricité, changement d’adresse, etc. Autrement dit, je ne m’occupe de rien. Prépare-moi chaque soir un dossier avec les formulaires et les chèques que j’ai à signer. C’est tout.
Puis avec un sourire ironique :
- Tu vois, déjà un peu secrétaire !
Je rangeai aussitôt mon exemplaire du contrat en me disant que j’aurais dû le lire avant de signer. « Bah, me rassurais-je, les avocats ont leur conseil de l’ordre et leur déontologie, ils ne peuvent pas faire n’importe quoi. De toute façon mon chômage n’est pas indemnisé, alors même si ça tournait au vinaigre, je ne perdrais rien à démissionner. »
C’est fou comme on peut se mentir à soi-même…

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